je remercie Simone Guérin*, ma chère voisine, de m'avoir fait découvrir le petit livre de Thierry Fabre, paru à Actes Sud, " Eloge de la Pensée de Midi" que j'ai lu avec délectation; je ne pouvais que le lire à haute voix, puis recommencer en sourdine, et je voulais saisir, attraper, comme m'approprier chaque phrase, tant le rythme,le souffle des phrases me paraissait juste, tant elles justifiaient soudain ma nouvelle appartenance à ce "midi" concret que je suis venue vivre, et dans lequel je me trouvais jusqu'alors comme un peu suspendue, et à ce "midi" symbolique dont j'ai depuis si longtemps sucé les sucs, sur ses deux rives, d'abord à travers le voyage d'Ulysse, inlassable mémoire, et les autres, avec Platon, de la Grèce à Syracuse, la Grande Grèce, puis Virgile, Enée et la reine Didon dont j'ai tant épousé les plaintes, puis Ibn Sidna, le sublime Avicenne, le premier nom que j'ai connu de la pensée Andalouse, à travers l'imaginaire exhaucé du monde dessiné par les arabesques complexes de Grenade à Fez, la sainte, puis Saint Augustin le berbère Numide, dont j'imagine la douce enfance sous l'oeil vigilant de Monique, la mère exemplaire, à travers Atta Turk et Abd El Kader, et Camus , bien sûr, l'initiateur de l'image de la "pensée de midi" et tant d'autres, musiciens de l'âme, qui ouvrent pour chacun le chemin de cette alliance si particulière "du gai savoir et du goût de la vie"...
mais, ce qui m'a paru si juste, c'est la convergence de l'héritage méditerranéen dans ce qu'il a de plus essentiel avec ce sens de la "mesure", forme si délicate à trouver, et comme résistance à renouveler constemment , face aux multiples "démesures" de nos sociétés, ce fameux péché d'ubris - depuis 50 ans, quels typhons soufflent sur notre humanité, suscités par la part la plus archaïque, reptilienne du cerveau des hommes! : " la pensée de midi, comme pensée des limites, écrit Thierry Fabre, est une forme de résistance possible au nihilisme qui nous enténèbre et au consumérisme qui nous envahit"
et de renouer la sagesse de Marc Aurèle à celle de Montaigne, ce grand voyageur : "c'est une absolue perfection et comme divine, de savoir loyalement jouir de son être"
puis encore : "le mode méditerranéen est la bonne échelle pour devenir un mode de significations communes...un lieu commun pour être ensemble et apprendre à vivre ensemble"...
et de dénoncer "le mur dans nos têtes, le mur de notre propre inconscience" : "le seul horizon serait la fracture, le ghetto urbain et l'expression violente d'identités exclusives qui n'auraient rien en commun et donc rien à partager?" ce petit livre est un apport précieux à notre capacité à "imaginer l'avenir autrement que sous le registre du pire"!
* femme, vibrante, écrivain, d'une insatiable curiosité et de belle élévation, dont les livres font comprendre de vrais visages de la Provence.