l'opposition "langue/parole" que font les linguistes est très éclairante : la langue est convention, la parole est toujours neuve ; la poésie est d'abord parole, langue créatrice, unique, singulière, réinventée.
je n'ai pas été déçue d'entendre les poètes antillais venus à Aix, en mars dernier, raconter devant un auditoire de "découvreurs" -un peu réduit en nombre, c'était le même jour de l'événement plus mondain des " Ecrivains du Sud"- les ressorts de l'acte poétique par lequel ils donnent corps à leur verbe.
Daniel Maximin ("Iles, Ailes, Nous", "Les Orphées Noirs", "L'invention de Desirade") m'a paru particulièrement clair : "la poésie c'est donner une musique aux pensées, à l'histoire, donner la parole à la nature antillaise, la Soufrière, le Volcan créateur de l'île, qui chaque jour parle...la poésie, c'est l'élémentaire... traduire l'eau, la terre, l'ai, le feu, les fruits, la mer, l'arbre...la langue est seconde par rapport à la musicalité caribéenne, l'anglais/espagnol de Santiago de Cuba, l'arabo -andalouse négrifiée par le monde créole...la langue parle "son" ou parle "blues"...il fallait que j'y mette la musicalité et l'élémentaire...casser la rationalité, arriver à mettre dans la langue une véracité supplémentaire" et plus loin: "les îles concilient l'ouragan et la berceuse"...avec la langue française"il me fallait inventer une langue neuve sans analyse logique et sans pronom possessif"
Monchoachi, plus austère et plus ouvertement politique, veut rénover, avec la langue créole, "la vision païenne du monde,qui peut nous sauver encore...réintroduire les divinités dans le monde"; "c'est le langage qui crée l'homme, qui installe la relation de l'homme au monde...et la relation du créole c'est une relation qui cherche à s'accorder avec le monde et non à le maîtriser"; il voit dans le créole "une langue de la chair, de la colère, de l'amour...une langue comme un corps qui bruit et qui nous touche par son bruissement" et dont il cherche à traduire "le rythme et la mystique"
le poète est rarement lu, entendu en France actuellement; ce n'est pas lui "l'expert" à écouter, la poésie est pourtant l'acte fondateur de la connaissance, au sens où Marguerite Duras le disait : "le savoir, c'est ce qui s'apprend, la connaissance, c'est ce que j'apprend du monde"