J'avais lu et relu les "Identités Meurtrières" d'Amin Maalouf, au moment de la parution de cet essai en 1998, je me plonge aujourd'hui avec reconnaissance dans "le dérèglement du monde", du même auteur, paru en avril 2009 (chez Grasset)
Son sens du discernement , tout à fait exceptionnel, il l' a exercé depuis très jeune ( il l'explique lui même par la lecture chaque matin de toute la presse locale au Liban - et il l'a aiguisé ensuite grâce à cette superbe plasticité qui est permise souvent à des esprits bercés dans les multi-cultures - cette capacité à distinguer, à relier, à articuler, à organiser -), son sens du discernement donc est mis ici au service d'une démonstration progressive, appliquée, humble de ce que l'humanité n'a pas développé les compétences morales adéquates aux mutations technologiques, économiques, sociales qu'elle a généré depuis la fin du XXème siècle; il démontre, pas à pas, nos pratiques et comportements d'irresponsabilité, qui entraînent tous les dérèglements actuels intrinsèquement conjoints de notre planète, culturels, sociaux, financiers, climatiques etc.
je ne résiste pas à l'envie de citer quelques passages, mais tout est à lire et à relire, tant la démonstration est dense et suivie:
" ...le système économique global est de moins en moins "pilotable". Une défailance...qui s'explique certainement en partie par cette caractéristique de notre époque que l'on peut observer dans divers autres domaines, à savoir que les problèmes ne peuvent être résolus que si l'on réfléchit globalement, comme si l'on était une vaste nation plurielle, tandis que nos structures politiques, juridiques et mentales nous contraignent à réfléchir et à agir en fonction de nos intérêts spécifiques..."
"...on mesure bien l'énormité de la tâche, qui exige un haut degré de solidarité active entre les nations, et qui ne pourrait être accomplie que sur des décennies, alors que les perturbations nous affectent aujourd'hui même.
Dés qu'un gouvernement cherche à régler un problème, il se trouve relié à cent autres, qui relèvent de domaines différents et qui se dérobent à son influence. Qu'il se batte contre la récession, l'inflation, le chômage, ou contre la pollution, la drogue, les pandémies, ou encore contre la violence urbaine, il est immanquablement en butte à des problèmes de tous ordres - géopolitiques, sociologiques, sanitaires, culturels ou moraux - en provenance de tous les coins de la planète..."
il décrit aussi les conséquences de cet autre phénomène qui touche toutes les sociétés, riches ou pauvres : la compression du temps et du rythme des choses et pour tout dire "l'instantanéité" qui nous fait vivre, en temps réel, tous les événements du monde transmis, sous les yeux de toute l'humanité...avec ses déviances obligées:
"...seule une petite minorité éprouve l'envie de savoir ce que disent les autres, bien des gens se contentent du son de cloche qui flatte leurs propres oreilles...si bien que ce formidable outil moderne (l' Internet) qui devrait favoriser le brassage et l'échange harmonieux entre les cultures, devient un lieu de ralliement et de mobilisation pour nos "tribus" globales..."
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