"passer de l'urgence de l'immédiat à l'urgence de l'essentiel" ( Edgar Morin)
Mutations, transformations, métamorphoses, re-fondation, élever la conscience, changer de modèles, de paradigmes, de représentations, passer du "toujours plus" au "moins" et "mieux", penser la complexité ...
Depuis 2 mois, je reste comme "immobilisée", incapable d'organiser et d'articuler la myriade d'informations que je suis chaque jour avide de recevoir, prise dans les rets contradictoires qui créent nos "poly-folies" quotidiennes - et nous, qui au sein de TOPICS, cherchons à comprendre comment peuvent advenir les "polyphonies humaines" !
Je me suis laissée chavirer par la conscience élargie que nous sommes si loin des buts espérés !
A cette Responsabilité Sociétale d'Entreprise qui m'occupe tant, les obstacles sont pléthores:
Les entreprises ne peuvent pas être seules "responsables" : les quelques engagements volontaires de quelques uns, et finalement surtout parmi les PME, sont loin d'être suffisants, s'ils ne sont pas soutenus, étayés, promus, guidés, par tout l'ensemble des acteurs et institutions politiques, juridiques, économiques, financiers...
Il faut tout remettre à plat : de la finalité juridique de l'entreprise (l'actionnaire comme propriétaire, de nouvelles règles de droit internationales à élaborer), aux frontières fiscales et comptables - quel est le poids de l'extra-financier aujourd'hui ?
L'engagement des investisseurs (I.S.R) est encore si bas, et 1/3 des investissements à l'étranger des multinationales se trouve dans les fameux paradis fiscaux ! ; la fausse bonne conscience des grandes entreprises du CAC 40 dont l'habileté des reporting cache mal le manque de précision des informations, qui ne proposent ni plans d'actions , ni objectifs, ni évaluation de progrès d'une année sur l'autre; l' incroyable dérive des bonus et stock-options qui atteignent aux Etats Unis 367 fois le salaire moyen, et les patrons français qui ne sont pas en reste, avec une connivence étroite entre intérêts privés et intérêts publics; les limites aux droits sociaux faits par la Grande Distribution, sous couverts d'audits auprès des fournisseurs très limités en nombre - environ 1% - et avec très peu de portée; la publicité greenwashing , les investissements dérisoires des grands groupes dans les énergies renouvelables, et les errances de la biomasse; les produits bio, importés souvent de très loin ... tout concoure à faire du Développement Durable une notion paravent, sans compter les évitements d'une gouvernance mondiale (l'ONU plutôt que de gagner en extension de moyens semble avoir perdu tout pouvoir face aux G7, G20, instances improvisées), et bien sûr l'argent pour les guerres, la pauvreté toujours plus misérable, les replis de l'ignorance et les peurs collectives...face à ces comportements humains si destructeurs, n'y a t-il qu'une conscience issue de la société civile et de quelques ONG, plus quelques poètes, artistes, et scientifiques pour aimer, construire, s'étonner et protéger la vie et les vivants ?
Je perçois pourtant combien cette litanie est inutile, parce qu'elle repose encore sur un schéma d'oppositions binaires, trop simples : radicalement, il est essentiel en effet de changer de paradigme, de se rendre compte une fois pour toutes de l'effondrement du dogme du déterminisme universel, comme nous le répète Edgar Morin d'une manière toujours si éclairante, quand il se réfère entre autres à Prigogine et à l'auto-organisation des machines vivantes: "la machine vivante se régénère sans cesse de la mort de ses cellules !"...
Continuons donc à manager dans la complexité et à œuvrer pour la beauté du monde !
La quête nécessaire de "l'essentiel" oblige à sortir du plan de conscience ordinaire du non-sens existentiel, ou plutôt à dépasser la dualité sens-non sens, positif - négatif, fondement binaire rationnel de notre champ de connaissances (surtout occidental, semble t-il).
Une des raisons d'espérer que le nouveau advienne vient des chercheurs économistes, et récemment la nomination au prix Nobel d'Elinor Ostrom, pour sa recherche sur l'économie des "biens communs"; ci dessous, extrait d'un article d'Hervé le Crosnier, en octobre 2009 :
"L'attribution du prix Nobel d'économie à Elinor Ostrom est une excellente nouvelle pour le développement d'une réflexion politique et sociale adaptée aux défis et aux enjeux du XXIe siècle.
Le prix Nobel d'économie a été décerné ce matin à Elinor Ostrom et Oliver Williamson. Leurs travaux, quoique très différents, portent non plus sur la modélisation économique, mais sur le « retour au réel ». Ils prennent en compte des interactions humaines en s'échappant du modèle de la « rationalité économique » qui prévaut dans les constructions mathématiques à la mode au cours de la décennie précédente. C'est une confirmation du changement d'orientation des Nobels entamé par la reconnaissance du travail de Paul Krugman l'an passé et de Mohamed Yunus précédemment. L'économie n'est plus cette théorie univoque qui servirait de hochet aux politiciens en mal d'instruments de pression sur les peuples (le « there is no alternative » de Margaret Tatcher, repris sous toutes ses formes par nos dirigeants néo-libéraux de tous bords depuis presque trente ans). Les décisions des humains de construire ensemble leur mode de production et de trouver des règles qui ne ressemblent pas à l'imagerie du marché afin d'autogérer leur actions communes pourraient revenir au centre de la réflexion.
En soi, ce simple fait serait une bonne nouvelle. Ajoutons que Elinor Ostrom est aussi la première femme récompensée par un prix Nobel d'économie... pour des travaux sur l'organisation collective de la vie. Mais c'est pour d'autres raisons encore qu'il faut se féliciter aujourd'hui de la décision de Stockholm.
Elinor Ostrom travaille sur les biens communs, cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socio-économique. Or cette question des biens communs, qui a longtemps été ignorée par la science économique, par la politique et par les mouvements sociaux, est en passe de redevenir un « outil pour penser » majeur, qui ouvre de nouvelles portes, et qui est en adéquation avec les questions du siècle qui débute (crise écologique, irruption des réseaux numériques, économie de la connaissance, modification profonde des régimes de production, redéfinition des droits de propriété immatérielle...).