Pouvons-nous encore espérer que le ou la prochain(e) président(e) de la République pourra résoudre les problèmes auxquels nous devons faire face ? Qu’il ou elle en a le pouvoir ?
Je me souviens d’avoir assisté en 2006 au dialogue surréaliste entre Al Gore, venu présenter son film à l’Assemblée nationale, et les députés. A l’un d’entre eux qui lui demandait s’il n’aurait pas mieux fait d’agir lorsqu’il était encore en fonction, il répondit : « Malheureusement, lorsque vous êtes vice-président des Etats-Unis, vous ne pouvez pas faire grand chose… » Et l’histoire récente n’a cessé de confirmer cette réponse laconique : Copenhague, les réformes d’Obama (notamment celle visant à limiter les pouvoirs de Wall Street), le détricotage du Grenelle de l’environnement, plus récemment la reculade insensée de Papandréou sur le référendum grec…
Force est de constater que les situations d’échec, d’impuissance de nos gouvernants, se multiplient. Il nous est difficile de penser à une seule grande victoire politique sur les crises financières, le dérèglement climatique, la faim, ou sur une meilleure répartition des richesses, durant ces vingt dernières années.
Aujourd’hui nos dirigeants, quelle que soit leur bonne volonté, sont face à une impasse tant structurelle qu’idéologique. Ce ne sont pas eux qui peuvent changer les choses, c’est nous. C’est pour cette raison que nous lançons aujourd’hui la campagne « Tous candidats ». Car nous croyons que nous sommes, collectivement, ceux qui peuvent transformer en profondeur la société.
Comme l’explique notamment Edgar Morin, la plupart des mutations radicales (l’agriculture, l’écriture, la démocratie, les religions…) ont commencé par l’invention de pratiques, de modèles isolés, par une minorité de personnes. Puis, pour des raisons diverses et spécifiques aux lieux et aux époques, ces innovations sociales, économiques, spirituelles, se sont généralisées à de larges franges de la population mondiale.
Cette propagation semble liée à un phénomène de « masse critique ». A partir du moment où une part significative de la population se met à penser ou à agir d’une certaine façon, l’ensemble de la société est susceptible de basculer.
Les pistes et idées de la société civile
Il est, dès lors, intéressant de regarder où en sont ces deux phénomènes (innovations sociétales et masse critique) en France et dans le monde.
Côté innovation, nous connaissons avec certitude des voies, des pistes, la plupart du temps élaborées par la société civile, qui nous permettraient de résoudre bon nombre des problématiques actuelles.
Les ingénieurs de NégaWatt ont modélisé, depuis 2003 (la dernière actualisation date de 2011), un scénario de transition énergétique pour la France, nous permettant de sortir du nucléaire entre 2030 et 2035 et de nous passer de pétrole, de charbon et autres énergie fossiles à partir de 2050. Jusqu’ici, personne n’a été en mesure d’invalider cette feuille de route (en dehors d’Anne Lauvergeon qui le clame, mais dont la neutralité et l’objectivité en la matière peuvent raisonnablement être mises en doute).
Olivier de Schütter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, souligne dans son rapport de mars 2011 que l’agroécologie pourrait doubler la production alimentaire de régions entières en dix ans tout en réduisant la pauvreté rurale et en apportant des solutions au réchauffement climatique. Il ajoute qu’il s’agit certainement de la voie la plus crédible pour nourrir 9 milliards de personnes en 2050 (sans recours au pétrole, aux pesticides et à l’endettement excessif des paysans).
Depuis plus de soixante-dix ans, des dizaines d’expériences de monnaies complémentaires ont fait leur preuve pour décorréler l’économie réelle de l’économie spéculative, rompre avec la politique de l’endettement systématique, stabiliser l’emploi et l’activité sur des territoires et contrecarrer le pouvoir, devenu absolu, des banques, dans leur monopole de la création monétaire. Le WIR, créé en Suisse au moment de la grande dépression par une poignée de PME, est aujourd’hui utilisé par un quart des entrepreneurs du pays et a été identifié par des universités américaines comme l’un des facteurs clés de la stabilité économique du pays, même en temps de crise.
Nous pourrions ajouter à cette liste des exemples dans l’architecture et l’urbanisme, les transports, l’éducation, la santé, l’économie…
Côté masse critique, nous savons depuis 1999 et l’étude sociologique dite des « Créatifs Culturels » menée aux Etats-Unis par Paul Ray, qu’un phénomène souterrain est en train de modifier l’ADN des sociétés occidentales. 24% des Américains y avaient été identifiés comme se reconnaissant dans les valeurs féminines, écologiques, l’implication sociétale et l’étroite relation entre changement individuel et changement social. La même étude conduite dans plusieurs pays européens et au Japon avait fait ressortir les mêmes tendances (17% en France).
Opérer le basculement
De façon plus récente, nous assistons à un mouvement de résistance populaire grandissant. Si les indignés ne sont pas encore nombreux en France, ils occupent plus de 150 villes aux Etats-Unis et ont réuni plus de 200 000 citoyens en Espagne ou en Grèce, pays plus durement touchés que le notre par l’effondrement du système économique. Dans les pays du Maghreb, ce vent de révolte et de liberté a provoqué une succession de reprises en main populaires, inédites depuis la chute du mur de Berlin.
Alors, si nos deux ingrédients clés sont aussi près d’être réunis, que nous manque-t-il pour opérer le basculement ? Je dirais : leur activation. Il est maintenant nécessaire que la masse critique que nous représentons prenne conscience de sa puissance et qu’elle se mette en mouvement. Tant pour appliquer les solutions que nous connaissons à l’échelle locale, que pour porter de nouvelles propositions à l’échelle nationale, européenne, mondiale.
De ce mouvement, qui s’indigne, s’unit et agit, peut naître une nouvelle façon de faire de la politique, hautement démocratique et profondément écologique.
Déclarons-nous tous candidats !